Comment associer frugalité et développement hardware ? Entretien avec Maxime PRIETO, co-fondateur et Chief Operating Officer chez auum.
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Peux-tu nous présenter ton parcours, nous parler de ton cheminement professionnel ?
Après une école d’ingénieur, je découvre le monde de l’industrie dans la société Supratec. C'est une entreprise spécialisée dans la distribution de produits industriels.
Ce stage se transforme en 2016 en opportunité professionnelle et assez rapidement j’accède à des rôles management. Je dirige d’abord une première filiale de Supratec puis deviens en 2017, Responsable du bureau d’études Supratec Synergies. Ce bureau avait plusieurs objectifs : développer des produits propres, les déployer au nom de la société et de déposer des brevets. Au bout de trois années, je deviens Directeur Général et Vice-Président du Directoire de la société jusqu’en janvier 2020. Cette année-là, je me lance dans l’aventure auum. Je décide de mettre à son service toute l’expertise acquise dans le domaine du management d’entreprise et dans le développement de produits industriels.
En tant qu’expert dans l’innovation et spécialiste du secteur industriel, peux-tu nous expliquer ta conception du hardware ?
On oppose souvent le hardware aux produits digitaux qui se développent depuis quelques années. Il s'agit des plateformes et les solutions SaaS, (Software as a service).
Auum est dans une approche hardware, nous sommes dans le « hard » donc dans le dur. C’est-à-dire que nous sommes confrontés à la matière. Par hardware, il faut comprendre le développement de technologies grâce à différentes sciences : la mécanique, mécanique des fluides, la chimie…Ces innovations technologiques feront ensuite souvent l’objet d’un dépôt de brevet. Le hardware est donc avant tout une activité inventive. Le plus grand défi est de partir de zéro pour arriver à un, c’est-à-dire créer. C’est la matérialisation d’une innovation qui naît à partir d’une problématique ou d’une idée. Et elle finit par aboutir à quelque chose de concret, de palpable. Je pense que c’est cela qui caractérise profondément le hardware face au software, qui lui, demeure plus difficile à saisir.
On voit que tu opposes en quelque sorte le hardware au software, n’y a-t-il aucune complémentarité possible entre les deux ?
Nous avons cette profonde conviction depuis le départ avec Clément (ndlr Clément Houllier) de ne pas uniquement développer du hardware mais du hardware connecté. Nous sommes convaincus que le produit hardware s’exprime pleinement lorsqu’il est interconnecté dans l’environnement dans lequel il est positionné. Une machine comme la nôtre, si elle était posée sur un meuble serait une bonne expérience. Mais elle serait insuffisante pour enchanter parfaitement nos clients et utilisateurs. C’est la raison pour laquelle, dès le départ, nous avons imaginé une machine, dont l'architecture, est conçue pour être connectée. Cette valeur ajoutée est la base du modèle économique de auum. Nous avons créé le TaaS, Technology as a Service. Nous sommes convaincus que le hardware est à la pointe de sa technologie lorsqu’il est « augmenté » par le software.
Maintenant que nous avons ta vision du hardware, pourrais-tu nous expliquer les difficultés intrinsèques lié à son développement ?
Les difficultés sur le développement d’un produit hardware apparaissent à chaque étape du développement et nécessitent une grande agilité. Le développement d’un produit hardware est bien plus complexe que celui d'un software. Même s’il existe des simulations très poussées, au bout d’un moment il faut produire et donc entrer dans le réel. Ces tests sont des moments de vérité. Par exemple, on va produire des pièces. Au moment de les assembler s’apercevoir que ce qui était parfait virtuellement n’est finalement pas probant dans la réalité. Cela se joue parfois à quelques centièmes ! Le hardware suppose donc des itérations qui peuvent coûter cher quand des erreurs se succèdent. Mais j’ai envie de dire que c’est un passage obligé. Dans l’innovation hardware, tout réussir du premier coup est un sacré défi. En résumé, le hardware engage donc non seulement du temps mais aussi un investissement pécuniaire inévitable.
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Dans ce cas, comment envisager le développement d’un hardware dans un contexte de frugalité ?
Il est certain que lorsqu’on a beaucoup de budget, l’impact financier des erreurs se sent moins. Mais l’enjeu réside ici dans la manière de développer du hardware de façon frugale. Pour moi, il y a quatre aspects majeurs à prendre en compte dans ce contexte.
Apprendre à faire les choses soi-même
Tout abord, il faut avoir confiance dans sa capacité à être très pro-actif de manière collective. Avec une petite équipe, il faut être en mesure de sortir de sa zone de confort. Il faut oser, il faut se former et monter en compétences afin de garder la maîtrise sur son innovation. Je pense que dans un premier temps, frugalité rime donc avec capacité de faire les choses soi-même.
Focaliser son énergie d'abord sur les priorités
Deuxièmement, il faut être capable de mettre en place des méthodes de fonctionnement et de développement de produits. La manière la plus efficace est d’adopter un fonctionnement par itération, d’y aller « step by step ». Il ne faut pas tenter de tout faire en une seule fois. Il s’agit au contraire de se concentrer sur ce qui fait la vraie valeur ajoutée du produit. Pour cela on se pose la question suivante : quelles sont les verrous technologiques les plus importants à solutionner ? Les réponses à cette question permettront de déterminer les nœuds à défaire en priorité. Dans un contexte de frugalité, cela nous apprend à mieux prioriser notre énergie.
Maîtriser les interfaçages de son produit
Troisièmement la frugalité passe par une grande capacité à maîtriser les interfaçages. Pour moi dans le développement hardware le diable se situe dans les interfaçages; lorsque l’hydraulique cohabite par exemple avec la mécanique ou l’électronique embarquée. L’attention doit se porter sur la manière dont tous les sous-ensembles vont bien communiquer les uns avec les autres. On peut remarquer que dans le développement d’un produit hardware les problèmes ont souvent lieu à ce niveau-là.
Privilégier les tests concrets dès que possible
Enfin, toujours dans un contexte de frugalité, on peut faire toutes les simulations du monde mais cela ne suffira pas. À un moment donné, il faut être dans le concret et ça, c’est un élément clé. Je pense que la stratégie que le POC, « proof of concept », ou un « crado test », est incontournable. Il faut faire rapidement des expérimentations sans forcément avec les produits complètement aboutis. Il est important de tester les choses, dès que possible dans le concret, même avec de très faibles moyens. Cela permet de conforter les décisions technologiques et de bien avancer.
En parlant de chose concrète, comment s’est passé le développement de la technologie auum-S ?
Nous avions commencé le développement de la auum-S en sous-traitant le produit auprès de bureaux d’études. On partait du principe que travailler avec des experts était la meilleure solution. Notre équipe s'st vite rendu compte des limites de ce modèle de fonctionnement. Tout abord, ils ne connaissaient pas aussi bien que nous les besoins. Deuxièmement nous n’avions pas la main sur notre produit pour y apporter des modifications. Tout cela est vite devenu trop contraignant.
Le moment charnière a été un séminaire auum début 2020. Notre premier prototype a été réalisé par un partenaire. Après de longues heures d’essais et d’analyse, nous restions bloqués sur de nombreuses problématiques techniques pour lesquelles nous n’avions aucune maîtrise. Et puis ce jour-là nous nous sommes dit : « on va faire comme Tesla et tout faire par nous-même ». Nous avons alors internalisé tout notre processus de développement produit. C’est comme cela que nous avons créé notre premier prototype fait maison. Nous l'avons baptisé « Teslauum » en hommage à Tesla et sa vision du modèle intégré. Ce revirement est aujourd’hui ce qui fait notre force.
Pour conclure cette interview, peux-tu nous dire en quelques mots comment envisages-tu l’avenir du hardware ?
Ce qui est certain, c’est qu’en France, nous avons la chance ! Nous avons des écoles d’ingénieurs et un système universitaire qui permettent d’acquérir de solides compétences techniques. Ce qui manque à l’écosystème actuel, ce sont des leviers de financement. Ils demeurent bien trop rares et complexes pour les raisons abordées. Cependant, je vois dans le développement de tels produits un renouveau du modèle industriel. Je suis convaincu qu’en France, nous avons largement les capacités de développer de nouvelles technologies. C’est une excellente chose que l’État encourage la ré-industrialisation. Je suis persuadé qu’une bonne partie de la souveraineté de la France et de l’Europe passe par une nouvelle ère industrielle, moderne et définitivement responsable.
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